Parmi les quelques conversations que j’ai vues apparaître grâce à mon nouveau compte Google+, il y en a une qu’il me paraît intéressant d’évoquer dans ce blog, et je ne vais pas laisser passer l’occasion de réveiller teXtes, qui dort depuis plus d’un mois maintenant. Comment ai-je perdu le rythme ? Je suis passée progressivement en mode lurker, voyant défiler les infos, casant un RT de temps en temps sur Twittter, continuant de sauvegarder des signets dans Delicious, voyant la conversation se poursuivre ici et là , perdant progressivement cette dynamique à base de simplicité, de spontanéité, de curiosité, d’entrain et de désinvolture indispensable au blogueur. Cela ne m’a pas empêchée de créer mes premiers cercles sur Google +, je sais bien que l’on ne peut rien dire au sujet d’un nouveau dispositif avant de l’avoir utilisé assez longuement, mais même là , je me suis trouvée comme intimidée, une fois créés mes cercles, comme si j’étais moi-même encerclée dans ce silence que j’ai laissé s’installer progressivement…
J’ai trouvé intéressante la discussion entamée sur le site Publishing Perspective, et poursuivie sur Google+, suite à l’article intitulé « Sprechen Sie Kobo ? ».
Cet article annonce et commente l’ouverture de Kobo en Allemagne, trois mois après l’arrivée de l’offre Kindle d’Amazon.
Puis il est indiqué que le catalogue de livres numériques disponibles sur Kobo est plus important que celui disponible sur Amazon, avec les chiffres suivants :
« Le Store Kobo allemand contient 2,4 millions d’ebooks, dont 80 000 en langue allemande. «
à comparer avec les
« 650 000 e-books, dont approximativement 25 000 en langue allemande »
chez Amazon.
Sebastian Posth indique en commentaire que ces chiffres ne signifient pas grand chose si on ne les accompagne pas de précisions. Amusant, Hadrien Gardeur poste un commentaire assez équivalent sur Google+.
Le terme ebook recouvre en effet différents formats, et différents types de catalogues. Les nombres indiqués sont la somme du nombre d’EPUBS et de PDF (sachant que les PDF sont généralement illisibles sur Kindle ou liseuse Kobo), et mélangent domaine public, livres auto-édités et catalogues d’éditeurs.
Parmi les 60 000 titres en langue allemande annoncés chez Kobo, 25 000 seraient des EPUBS (le nombre annoncé par Amazon – qui les diffuse dans son format propriétaire, mais génère les fichiers MOBI à partir des EPUB).
Le nombre qui intéresse le plus les utilisateurs de liseuses est, selon Sebastian Posth, le nombre de fichiers en allemand, fournis par des éditeurs au format EPUB.
Sebastian indique également qu’il n’est jamais fait mention, dans les articles concernant le marché du livre numérique en Allemagne, des deux principaux distributeurs que sont libri.de et ciando.com, tous deux également e-libraires, possédant l’offre la plus exhaustive, et qui alimentent les principaux revendeurs. Seule Libreka, la plateforme interprofessionnelle issue du Börsenverein, est citée dans l’article, avec son catalogue de 76 000 titres, dont Sébastian nous dit qu’il contient nombre de PDF et de livres en anglais.
Agrégateurs, distributeurs ou revendeurs sont les seuls à pouvoir indiquer des chiffres précis, et c’est ce que fait Ronnie Vuine de Txtr dans la conversation sur Google+ qui a suivi l’article, indiquant qu’ils recensaient, de leur côté, 17 121 EPUBS en allemand…
17 121 versus 2,4 millions… il est parfois utile de creuser un peu les chiffres, y compris ceux indiqués par Kobo, une société innovante qui met souvent l’accent sur son côté « data driven » dans ses présentations – parmi les meilleures qu’il m’a été donné de voir.
Derrière la très juste analyse sur les chiffres de livres disponibles (que je partage complètement : on est face à des catalogues annoncés dopés aux stéroïdes), j’aime bien l’idée qu’il y a derrière ce billet… Le fait qu’il y aurait des livres numériques avec différents statuts. Comme s’il y avait livre et livre. Des livres qui en sont et d’autres qui n’en sont pas. ;-)
Comme si cela dépendait du format (or, cela dépend aussi de la capacité des terminaux à « lire » tel ou tel format). Alors qu’on voit plutôt que cela dépend de la manière d’agréger les catalogues (et notamment en faisant entrer des titres anglais dans des catalogues d’une autre langue, parce qu’ils sont disponibles sur la boutique). Outre le spam, que tu dénonçais il y a peu, j’ai de plus en plus tendance à penser que l’avenir du livre électronique va surtout être caractérisé par une démultiplication de l’offre de livres. Une nouvelle offre de livres, qui se caractérise pour l’instant plutôt par leur longueur (plus court que les livres papiers), alors qu’il me semble plutôt que c’est une autre manière de proposer des contenus : des contenus qui ne viennent pas du monde du papier… Cela ne veut pas dire que ce ne sont pas des contenus dignes d’intérêts, au contraire. Mais le format et les supports créent une possibilité pour un nouveau marché. Et c’est cela qui est intéressant.
« En tant que lecteur, il m’importe peu qu’un « contenu vienne du monde du papier ». Aucun contenu (on ne se débarrassera jamais de ce vocable…) ne « vient du monde du papier », les livres que j’aime lire viennent des mondes singuliers de leurs auteurs. »
C’est une idée reçue, beaucoup trop entendue : un texte existerait en dehors de ses conditions (techniques, matérielles, sociales) de réalisation. Or, ce n’est pas le même texte en papier, en numérique, en papier de l’édition Folio, en papier de l’édition Flammarion, en numérique de Publienet, en numérique de NumerikLivres, pour le « même » Baudelaire. L’énonciation éditoriale d’abord (couverture, couleur, typographie, chapitrages, etc.) a une conséquence décisive sur la réception du « même » texte (essayez de lire en scriptio continua pour vour ;) ; ensuite, au papier, au numérique, sont attachés des conditions de circularité et de transmission du texte radicalement différentes. Autrement dit : la manière de se l’échanger, de mains en mains, d’octets en octets, influe, encore une fois, sur la façon dont nous pensons ce texte et sur sa nature (qui n’existe pas en dehors de ceux qui le reçoivent, à moins de croire à « l’idée » du texte et à la toute-puissance d’un auteur sans lecteur). Par conséquent : derrière le « papier », le « numérique » c’est en fait la possibilité de faire-circuler, transmettre, mémoriser le texte qui est posée.
En continuant donc à clamer dangereusement que « c’est pareil », nous refusons de voir que la résistance de la culture papier est un appel à l’éveil d’une culture numérique (cartographie des notes, index/table des matières dynamiques, épaisseur exhibée, spatialisation de l’information, etc.), conditions de l’appropriation des tablettes numériques, de la circulation du texte, de sa mémorisation et enfin de sa transmission.
A noter que ce manque de clarté sur les chiffres n’est pas spécifique au marché allemand.
Aux USA on parle de plusieurs centaines de milliers de titres alors que les « big six » ne représentent même pas 100k titres et le reste comporte beaucoup de doublons du domaine public, et d’auto-édités.
En France, la FNAC communique sur le fait qu’ils possèdent 70k titres (majoritairement en PDF) et refuse d’indiquer aux journalistes le nombre de titres en EPUB.
Bref, c’est un concours de « qui a la plus grosse », où chacun gonfle artificiellement les chiffres à sa manière (Kobo peut dire merci au catalogue de l’Internet Archive, B&N de même avec Google Books et ainsi de suite).
La réalité du marché aujourd’hui, c’est qu’aux USA ou en Allemagne, quasi tout le monde a le même catalogue. En France, le jeu des rapports de force fait qu’on en est pas là encore…
@Hubert ça dépasse largement la capacité des terminaux à lire des livres, vu que ça concerne aussi l’expérience de lecture (pas du tout pareil de lire un PDF ou un EPUB, même sur une tablette).
Quand on sait qu’en plus, ces acteurs parient principalement sur leurs périphériques dédiés, que la majorité des titres annoncés ne soient en réalité par disponibles n’est en aucun cas anodin non plus.
@SoBookOnLine Bien sûr que la mise en forme, la nature du support, sont importants, et qu’aucun texte ne peut exister indépendamment de la nature de son affichage. Après, tout est une question de degré. Je persiste à maintenir que l’univers de l’auteur, que ce que cet auteur me dit, me raconte, me donne à voir et à rêver est plus important pour moi que la forme dans laquelle son Å“uvre m’est proposée. Bien sûr, je ne saurais lire un roman dans une police complétement naze, et serais hyper énervée d’une mise en page absurde, bien évidemment. Mais en mettant de côté les cas de « mauvaises éditions », qu’elles soient numériques ou imprimées, je ne veux pas prendre pour acquis que » nativement numérique » ou « issu du monde de l’imprimé » soit un critère qui l’emporte sur « écrit par un auteur qui a quelque chose à dire » ou « écrit par un auteur qui essaye d’imiter le scénario de la dernière série qu’il a vue sur M6 ».
Ce thème de la « résistance de la culture papier », et tout ce qui concourt à poser une ligne de démarcation « papier / numérique » me semble vain. Non qu’il n’existe pas une résistance des acteurs du monde du livre à la transformation de leur métier, résistance explicable et parfaitement normale, résistance effectivement dangereurse pour ces acteurs s’ils s’y accrochent et refusent de considérer ce qui est en train d’advenir. Mais l’opposition simpliste « tout numérique, tout beau / tout papier, tout vieux qu’a rien compris » est tout aussi dangereuse. Il faut savoir résister à la tentation dogmatique qui accompagne toujours les innovations, ce vertige de la table rase, ce désir adolescent de mettre à bas ce qui existe pour pouvoir exister, pour se poser les vraies questions : ce qui compte, ce à quoi l’on tient, dans quel monde on veut vivre, ce dont on pourrait regretter, trop tard, la disparition.
Ce n’est pas (du tout) une opposition que je marquais; je militais plutôt pour une reconnaissance et une compréhension. Autrement dit : je balaie, comme vous, ces oppositions vaines, ces dichotomies, ces dénis mutuels de culture. Ainsi , comprendre pourquoi, par exemple, on continue à brandir « l’odeur du livre », c’est tenter de saisir ce qu’il y a derrière ce genre d’expressions, c’est retrouver des notions d’ingestion et de digestion de la culture. Par conséquent : la « résistance » évoquée n’est pas une dénonciation mais un effort pour saisir les raisons pour lesquelles elle existe. Voir mon billet « l’odeur du livre ou les pouvoirs de suggestion du papier » : http://www.sobookonline.fr/creations-numeriques-ebooks/lodeur-du-livre-i-ou-les-pouvoirs-de-suggestion-du-papier/
J’ai l’impression que Hubert parlait de la distinction artificielle que l’on veut faire entre les livres numériques au format PDF et au format ePub. Pour tous les gens un ebook est un livre numérique. Le format importe peu. (Bien que personnellement je préfère lorsque le texte est directement manipulable).
En quoi ajouter les PDFs gonflent un catalogue ?
Le format importe. Si vous lisez sur une liseuse ou un smartphone, la lecture de PDF (format non recomposable, qui ne s’adapte pas à la taille de l’écran ) sera pratiquement impossible. Parmi les terminaux mobiles, seuls les tablettes type iPad permettent de lire confortablement du PDF, et elles sont chères. C’est pourquoi le catalogue EPUB est important, c’est celui auquel accèdent la plus grande partie des lecteurs qui vont acheter des livres numériques. Ces remarques concernent la « littérature générale » : il en va autrement des livres scientifiques, techniques, professionnels qui sont lus sur PC.
J’entends bien Virginie. (c’est ironique de me faire dire que le format importe vu mon implication depuis des années dans le domaine ;) ). Mais ça c’est le message des professionnels pas le message grand public. Amazon, Kobo, etc déclarent avoir des *ebooks*. Le format est une autre question. De la même façon, les mêmes Å“uvres dans différentes éditions (paperback, hardcover) « gonflent » les catalogues papiers aussi. Je pense que c’est un faux procès sur la petite phrase *marketing* prise au passage.
En revanche si on veut éduquer l’utilisateur, le format n’est qu’une petite partie de l’enjeu. On peut ajouter les DRMs, les types de PDF (scann image ou texte, simple ou en colonne, etc.) Il y a certains PDFs plus utilisables que des epubs et vice-versa.
En fait il serait plus intéressant de fournir une grille d’analyse pour permettre aux gens de se poser les bonnes questions face aux ouvrages.
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