Dans le train qui me ramène à Paris, essai pour mettre en ordre ce que je retiens des différents débats, séminaires et présentations auxquels j’ai assisté à l’occasion de la Foire du Livre de Londres.
Il me semble que l’expression que j’ai le plus entendu utiliser est : « focus on readers »
Que ce soit dans le « keynote » sur l’avenir de l’édition, dans celui joliment nommé « digital publishing : where is the money ? », durant l’après-midi de dimanche consacré à l’expérience américaine en matière d’édition numérique, cette nécessité de se concentrer sur les attentes des lecteurs était omniprésente.
Tous les responsables de groupes ou de maisons d’édition que j’ai entendus sont aujourd’hui tout à fait conscients de ce qui est en train de se produire. Ils savent tous qu’aujourd’hui il est extrêmement facile pour quiconque d’accéder à la publication, sans passer par leur intermédiaire. Ils savent aussi que leurs concurrents aujourd’hui ne sont plus seulement les autres éditeurs, mais toute une pléiade d’acteurs dont ils n’avaient jamais eu à se soucier auparavant, des acteurs dont la plupart n’existaient pas il y a vingt ans : Google, Amazon, Apple, les opérateurs de téléphone. Que leurs concurrents sont aussi tous ceux qui se disputent notre attention : télévision, vidéo, jeux, médias sociaux…
Comment font-ils, ces éditeurs, pour garder le moral dans un contexte comme celui-ci, auquel s’ajoute bien-sûr la crise économique ? Ils font comme vous et moi : ils savent que c’est dans ce monde qu’ils doivent vivre, et qu’il leur faut s’adapter. Ils savent que la meilleure manière de le faire, c’est de penser le changement non comme une fatalité mais comme une opportunité. Ils repensent leur métier en profondeur, dans toutes ses dimensions. Ils tirent des leçons des expériences menées dans les secteurs éditoriaux pionniers dans le numérique (édition professionnelle, éducation). Ils se familiarisent progressivement avec des technologies qu’ils ne peuvent plus ignorer, se préoccupent des formats, des métadonnées, des normes et standards, de la gestion de leurs fichiers. Certains découvrent et expérimentent les médias sociaux, moyens inédits de rentrer en contact avec leurs lecteurs. Les chantiers ne sont pas seulement techniques, mais aussi juridiques, économiques et impliquent des changements en profondeur dans les habitudes et les comportements.
Il est tant d’aspects qui changent et vont changer dans ce métier, que la question est peut-être finalement « Qu’est-ce qui ne va pas changer dans le métier d’éditeur ? »
Pour essayer d’y répondre, je vais faire un détour. Dans les trois grands halls contigus qui accueillent la Foire de Londres, le « coin du numérique » est situé tout au fond, autour d’un « Digital Theater » beaucoup trop étroit pour l’audience qu’attire chacune des présentations qui s’y déroule. Auprès de ce lieu toujours débordant de monde, de très nombreux stands de prestataires numériques, dont on a l’impression qu’ils se sont multipliés à très grande vitesse.
Et à quelques pas de là , un espace plus vaste que le Digital Theater, Le « English Pen Litterary Cafe » accueille toute la journée des auteurs, dont de nombreux auteurs Indiens car cette année, c’est l’Inde qui est l’invité d’honneur de la foire. J’ai beau être tout à fait passionnée par mon métier, il m’arrive de saturer un peu des présentations techniques ou des discussions stratégiques sur le numérique (et oui !) Alors, je m’approche de cet espace où une foule nombreuse est venue écouter un auteur, et je m’installe pour écouter moi aussi. Je connais vraiment très peu la littérature indienne contemporaine. Alors je ne reconnais pas l’auteur, (mais plus tard, une petite exploration du programme et du web me permettent d’indiquer qu’il s’agit de Koyamparambath Satchidanandan, poète et intellectuel indien de langue malayalam.) Je l’écoute, et je me laisse emporter. Dans l’assistance, je repère plusieurs éditeurs français. L’un d’entre eux n’a pas trouvé de place assise, ils se tient debout, il ne perd pas un mot de ce que dit l’auteur, je peux lire sur son badge le nom de sa maison d’édition. A la fin de l’intervention, il s’approche de l’auteur, visiblement, il a besoin de lui parler. Et je me dis : « tiens, voilà un éditeur. »
Ce qui ne changera pas dans ce métier, c’est la passion d’éditer. La passion de découvrir et de distinguer, la passion de rencontrer et d’accompagner, la passion de mettre en forme et de fabriquer, la passion de faire connaître, de diffuser, de partager.
merci, Virginie, pour cette veille et cette vie
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