J’adore Claro. C’est vraiment un type très drôle. Même si on ne comprend pas tout.
Je suis allée écouter son hommage à Beckett, hier soir au théâtre du Châtelet.
Lorsque j’ai vu ma première pièce de Beckett, je devais avoir 13 ou 14 ans peut-être, c’était au Théâtre des Arts, à Rouen. Jean Chevrin, qui dirigeait alors la classe d’art dramatique du Conservatoire, jouait le rôle de Pozzo, rôle qu’il avait créé, je l’apprends en cherchant sur le web pour rédiger ce billet. C’est pour le voir jouer que nous y étions allés, en famille, car c’était un ami de mon père. Tous deux sont morts à présent, tous deux trop tôt, Jean encore plus absurdement tôt que mon père. Je me souviens du décor, un arbre mort, de Vladimir et Estragon, et de Pozzo, dont nous guettions l’apparition : impatients de voir Jean, pour nous, c’était plutôt « en attendant Pozzo… »
Nous passions, enfants, un temps fou au conservatoire. Inscrits dans les premières classes à horaires aménagées imaginées par Landowski, nous finissions les cours à 13h, puis c’était grande liberté : chorale, orchestre, musique de chambre, supplice du solfège, instrument, chacun avait son emploi du temps particulier. Je me faufilais souvent dans la classe de Jean Chevrin, sous les combles. Ses élèves étaient les plus âgés du conservatoire, ils avaient tous plus de 16 ans. Planquée dans un coin, j’assistais au cours, j’observais Bertrand et Bérangère Bonvoisin qui passaient une scène, j’entendais Jean les reprendre. Les mots changeaient bizarrement de sens suivant qu’on les disait de cette manière ou de telle autre, suivant que l’on bougeait en les disant comme ceci ou comme cela. La belle voix posée de Jean imprimait aux mots le temps de son souffle et sa texture vibrante. Ailleurs, autour, au même étage, tout était musique, tout se situait par delà les mots, c’était le règne de l’indicible et du sublime. Dans cette pièce, cernée par les échos des instruments qui répétaient, le texte résistait, le texte s’entêtait à essayer de dire ce qui résiste au dire.
Il faudra que Claro publie ce texte qu’il nous a dit hier. Guérillero de la langue, il s’est dédoublé pour évoquer Beckett : Claro l’écrivain, accroché à son pinceau, Claro le traducteur, menaçant d’ôter l’échelle. Entre deux langues, comme Beckett. Comme lui, au bord du silence.
Qu’il me pardonne, je lui ai volé une phrase, avec mon appareil photo :