Changer nos façons de travailler (2)

Tout semble indiquer aujourd’hui que la lecture de livres numériques est progressivement en train de gagner en popularité, de sortir du cercle des early adopters et de se développer. Cela s’observe principalement aux USA, (bien qu’il semble que la Chine ne soit pas en reste), mais concernera également l’Europe rapidement. Un exemple parmi d’autres, assez frappant, cité par Mediabistro / Galleycat

« La romancière Laura Lippman a vendu 4 973 livres numériques et 4 000 livres en version imprimée grand format de « I’d Know You Anywhere » depuis que ce nouveau thriller a été mis en vente le 17 août.

Le Wall Street Journal a parlé au vice-présiedent d’HarperCollins Frank Albanesa de cet événement. Il explique : « C’est le premier de nos livres importants qui se vend plus en version numérique qu’en grand format imprimé la première semaine… Ce que nous observons aujourd’hui c’est que si un livre obtient de bonnes critiques, l’accélération est plus rapide du côté des achats en numérique que du côté des achats de livres physiques, parce que les gens qui possèdent une liseuse ou une tablette peuvent acheter et se mettre à lire immédiatement. » « 

Les choses s’accélèrent bel et bien, et il est loin le temps où l’édition électronique semblait ne concerner que certains types de livres, et où l’on pouvait affirmer que jamais rien ne rivaliserait, pour la lecture immersive, avec le livre imprimé.

Les choses s’accélèrent, et la nécessité de changer nos façons de travailler devient une nécessité urgente : il faut non seulement changer, mais il faut changer vite. Pas simplement gérer une évolution progressive, faire évoluer doucement les modes de production, introduire ça et là des modifications, commencer timidement à imaginer de nouveaux modèles économiques, encourager des tests sporadiques. Non. Il y a, il va y avoir, très vite, disruption. C’est peut-être une bonne nouvelle : il est plus difficile de convaincre des professionnels d’intégrer de nouvelles pratiques lorsque la perspective est floue. Comment être bien accueilli en disant : « Il va falloir que chacun fasse l’effort de particpier à la mise en place d’une filière supplémentaire de production, afin de rendre disponibles chacun des livres que nous produisons à la fois en version imprimée et en version papier. Ce sera difficile, chronophage, cela coûtera cher, et cela ne rapportera pratiquement rien. »
Si  on vend seulement quelques dizaines de livres numériques, il est évident que quel que soit ce qui se raconte un peu partout sur le coût du livre numérique, le fait d’alimenter, parallèlement à la filière livre imprimée, une filière numérique, ne peut que venir plomber les résultats, chaque livre numérique vendu étant un facteur de coût et non l’inverse. Difficile de susciter l’enthousiasme général dans pareil contexte.

Nous n’en sommes pas, cependant, en France, au même stade que les Américians. Il y a plusieurs raisons à cela, qui devraient devenir caduques assez rapidement :

– Le parc de terminaux de lecture demeure faible.
Même si le PC est très répandu, et que c’est un terminal de lecture privilégié pour quantité de lectures, ce n’est pas sur Pc que nous lirons des romans ou des essais. On ne connaît pas exactement le nombre de liseuses et d’iPad en circulation, mais en croisant des chiffres concernant les ventes de liseuses et les ventes d’iPad, on arrive à quelques dizaines de milliers, ce qui est largement insuffisant pour constituer un marché.

– Aucune liseuse disponible actuellement sur le marché ne dispose d’un accès direct en 3G ou Wifi à des librairies en ligne.
Et on a bien vu, aux Etats-Unis, que c’est cette disponibilité qui a permis le décollage des usages. Le fait de devoir passer par son PC pour alimenter sa liseuse est fastidieux, et supprime l’achat d’impulsion.

– Le catalogue de livres disponibles en numérique demeure restreint
Même s’il s’enrichit chaque jour de nouveaux titres, même si de nombreux éditeurs se sont mis à publier simultannément leurs nouveautés en version imprimée et numérique, même si d’autres ont opté pour une publication nativement numérique, le choix est encore beaucoup trop limité, et il est absolument impératif que ce choix s’accroisse considérablement, pour satisfaire la diversité des lecteurs : que des éditeurs de plus en plus nombreux s’y mettent, tant en ce qui concerne les nouveautés que le fonds qui reste encore largement à numériser.

– Une diversité de canaux de diffusion est nécessaire, qui se met en place progressivement.
Les libraires ont un rôle actif à jouer dans le numérique, certains le font déjà ( Aldus tient une liste à jour ici ), apportant leur savoir-faire, leur talent de prescripteurs, pour faire en sorte que les livres ne soient pas de simples produits d’appel, mais bel et bien soutenus et défendus par des professionnels pour lesquels ils représentent le cÅ“ur de leur activité. On attend aussi l’ouverture prochaine du site des libraires, 1001libraires.com, qui offrira la possibilité aux librairies adhérents d’ouvrir un site vitrine ou un site de e-commerce, et intégrera la vente de livres numériques

Avec des liseuses connectées, des appareils (liseuses et tablettes type iPad) vendus en plus grand nombre, la multiplication des points de vente, une offre plus riche, devrait pouvoir être levé à très court terme l’un des principaux freins au changement : l’absence de toute perspective économique, qui rend difficile la motivation.  Et c’est tant mieux, car le tournant 2010 – 2011 s’annonce assez sportif, non ?

Ce contenu a été publié dans édition, édition électronique, ebook, la vie numérique, liseuses. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à Changer nos façons de travailler (2)

  1. mohamed abdou bennani dit :

    C’est une nouvelle vague nécessaire et obligatoire, mais demande un investissement de départ important.Les pays en développement ne peuvent le faire surtout si les gens n’ont pas l’habitude de lire.

  2. Michel Lecour dit :

    « Un tournant assez sportif », ça fait allusion
    à la nécessité de l’entrainement préalable ?
    à l’effort de dépassement ?
    à la performance espérée ?
    au spectacle offert aux observateurs ?
    Peut-être, en fait, à un peu tout cela à la fois.
    Vive le sport, alors !
    Et merci pour cette bonne synthèse de la situation.

  3. Michel Lecour dit :

    @Virginie Je le vois bien comme ça aussi, le côté « sportif » ; mais les autres sens me plaisent bien aussi, et sont éclairants.
    Ah, la puissance de cette métaphore du sport chez les intellectuels ! ;-)))

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *