Avant d’aimer tout de suite le site, lorsque je l’ai découvert il y a déjà quelques années, j’ai aimé son nom. Le désordre, à la fois mon penchant et mon ennemi, ma maladie et ma richesse, la clef de ma désinvolture et la source de mes énervements, venait prendre ses aises sur le web, revendiquait le détour, le passage secret, le hasard, les chemins de traverse.
Je donnais des cours alors, expliquais aux étudiants les rudiments de la conception d’interface (centrée utilisateur, bien sûr, et attention à la surcharge cognitive de celui-ci, on lui fait tout comme d’habitude, l’interface doit se faire oublier, respecter les standards, devenir transparente, intuitive…). Et après, comme un pasteur fonçant en douce au bistro après un sermon sur la tempérance, j’allais faire un tour sur desorde.net. Un site pas « centré utilisateur » mais offert au curieux et accueillant les amis. Un site pas « Web 2.0 » mais des milliers de pages 200% passionnantes, dont sa page d’accueil arrachée à un carnet de notes (combien de pages gribouillées, aucune aussi belle que celle-ci, dans les cahiers des archives de tout concepteur numérique : rectangles et flèches, renvois, listes embrouillées…)
Le site de quelqu’un qui excelle à travailler ce que François Bon appelle une « pâte » , la pâte numérique :
« Dans ce chemin, depuis 11 ans, la seule permanence : l’imprédictible. Passer du html au php, cela veut dire que moi-même je ne maîtrise plus la totalité de la chaîne technique que j’emploie ici. Apprendre des logiciels complexes (en ce moment, inDesign). Savoir qu’on gardera sa dominante dans une discipline, qu’on ne sera pas ingé son ni opérateur tri CCD, mais que le média qu’on met en forme est une pâte complexe avec texte, son et image, et que les quelques fous qui nous précèdent, côté video-poetry, manient cette pâte nativement comme leur propre vocabulaire : ce n’est pas mon cas. »
Ce terme de « pâte » m’était venu à l’esprit, au « temps du cédérom », temps des balbutiements numériques, lorsque, passés les premiers éblouissements, (un rien nous ravissait alors), j’ai pris conscience que la disponibilité nouvelle des différents medias ouvrait des champs immenses, quand chacun d’entre eux pris isolément requiert, pour être un tant soit peu maîtrisé, tant de connaissances, d’entraînement, de patience, d’exigence et de de talent. L’écran n’est pas une page, il est une fenêtre, une fenêtre qui ouvre sur un paysage mouvant que le code ordonne, convoquant telle image, faisant se dérouler tel texte, déclenchant cette vidéo, jouant ce son. Le code ordonne le désordre de desordre.net, le code multiplie les fenêtres, brouille les pistes, crée les surprises. Photographe, écrivain, Philippe De Jonkheere est aussi informaticien.
Si vous ne lisez ni tiers-livre (ça, ça m’étonnerait !), ni lignes de fuite, (et là , vous ratez quelque chose !) ni rougeLarsen Rose (grave erreur), si vous n’entrez pas au café du commerce, si vous ne pratiquez pas ce métier de dormir, alors vous ne savez pas que Philippe De Jonkheere s’est fait voler son Nikon. Plus de Nikon, plus de photos dans desordre.net, plus de photos en désordre, plus de photos du désordre… Ah non, ça alors, pas question !
Merci Virginie. Très touché par votre message. L’impression que cette chaîne va bien au delà des périmètres que je supposais immédiatement voisins du désordre. Au delà de la possibilité de se réquiper bientôt, c’est surtout les messages, les commentaires ou les emails qui font chaud au coeur.
Amicalement
Phil