Une certaine confusion règne semble-t-il autour de la thématique « impression à la demande ». Le POD comme disent les américians : Print On Demand. Elle est assez généralement confondue avec l’auto-publication. Cela vient peut-être du fait que le terme d’éditeur, en français, désigne deux fonctions distinctes pour lesquelles l’anglais possède deux vocables : nos amis anglophones distinguent en effet « editing » et « publishing ». L' »editor » occupe cette fonction de repérage, de distinction, de choix. Il construit un catalogue, un fonds éditorial, en sélectionnant des textes, en attirant des auteurs. Il est aussi celui-qui fait passer le texte de l’état de manuscrit à l’état de texte « bon pour la publication », selon des modalités qui diffèrent d’un éditeur à l’autre, et bien sûr d’un secteur de l’édition à l’autre.
Le « publisher » prend le relais. Il est celui qui fait passer ce texte « bon pour la publication » à l’état de livre : non pas « un livre », mais « ce livre » : avec son format, sa maquette, son image de couverture, la qualité de son papier etc. Il est celui qui va payer pour cela, et qui versera à l’auteur un pourcentage des revenus liés à la vente de l’ouvrage. Il est aussi celui qui se préoccupe du devenir du livre, celui qui veille à sa mise en place, à sa promotion. (J’observe que Pierre Assouline dans un post sur ce thème définit « publisher » comme « patron de la maison d’édition ». Mais dans une petite maison, l’un et l’autre rôle se confondent en une seule personne, et c’est donc bien les fonctions qu’il convient de distinguer.)
L’impression à la demande ne remet pas directement en cause ni le premier ni le second rôle de l’éditeur. Elle est simplement la conséquence de la possibilité d’imprimer, grâce au développement des presses numériques, les livres en un petit nombre d’exemplaires pour un prix abordable. Contrairement à l’impression traditionnelle, qui implique des tirages supérieurs à 1000 exemplaires, (on peut bien sûr en imprimer moins, mais le prix demeurera alors constant, donc celui de l’exemplaire augmentera vite.) Les éditeurs qui travaillent sur des marchés de niche utilisent déjà l’impression numérique. On parle d’impression à la demande lorsque celle-ci se déclenche lorsqu’un client achète l’ouvrage (ou lorsqu’un lecteur le réclame, si la presse numérique est installée dans une bibliothèque).
Jusqu’à l’apparition relativement récente de sites tels lulu.com, blurb.com, CreateSpace.com et d’autres, la publication d’un livre était chose quasi impossible sans passer par l’intermédiaire d’un éditeur. A ceux qui ne réussissaient pas à se faire éditer et tenaient à tout prix à voir leurs Å“uvres publiées, restait toujous l’option de payer pour ce faire : ils passaient alors par l’intermédiaire d’un prestataire, plus « publisher » qu' »editor », qui ne s’engageait qu’à prendre leur manuscrit et à leur permettre d’en faire un livre, moyennant finances : c’est ce qu’on appelait l’édition à compte d’auteur.
Aujourd’hui, l’auto-publication est facilitée par l’apparition de plateformes en ligne. Le prix dépend du nombre de pages et de différents critères de qualité du livre. La possibilité existe d’obtenir un ISBN et de se faire référencer sur Amazon. Mais n’imaginez pas que la majorité des clients d’un site comme lulu.com sont des romanciers désespérés, qui échouent sur le site faute d’avoir été acceptés par les lecteurs des maisons d’édition. Le site parle de romans, nouvelles, poésie, mais aussi de thèses, mémoires, propositions commerciales, albums souvernirs, guides touristiques, albums de mariage etc.. La plupart des clients de ces plate-formes cherchent à publier des écrits extrêmements divers, dont la majorité n’atteint pas 48 pages.
Contrairement à une idée très répandue, le fait de payer pour se faire éditer n’est pas l’apanage de quelques autoproclamés écrivains convaincus d’avoir été incompris par des éditeurs qui ne publieraient que des fils-de, des présentés-par, des people, des faisant-partie-du-cercle. Penser aux endroits du monde ou s’autopublier est la seule manière d’échapper à la censure. Se souvenir qu’un René Char, pour ne citer que lui, dépensa pas mal d’énergie pour rassembler les fonds nécessaires à la publication de certains de ses livres. Penser aussi qu’avec la survenue du web, les statuts respectifs de la lecture et de l’écriture se modifient, ainsi que les instances de légitimation des discours. Les éditeurs l’ont d’ailleurs compris, qui s’intéressent aujourd’hui de près aux « social networks« , voire essaient d’en créer.
Sérigraphie, rhonéotypie, photocopie, … Les « outsiders » et les adeptes du « Do It Yourself » n’ont pas attendu l’impression à la demande pour publier leurs textes et images. Que se soit dans des fanzines ou des micro-publications (souvent sans ISBN).
Diffusées dans des réseaux parallèles, ces publications « sauvages » peuvent échapper aux contrôles et formatages. Sur Internet, tout est plus visible pour la censure d’où qu’elle vienne.
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