« Pistes numériques : est-ce que le design a de l’importance dans la distribution numérique ? », tel est le titre du billet d’Andrew Brenneman dans Book Business.
L’une des caractéristiques de l’édition numérique est la possibilité de rendre disponible un texte pour une lecture sur différents terminaux, de tailles variées. Le même contenu aura donc nécessairement une apparence différente selon le terminal sur lequel il est lu, et peut même être publié, sur le même terminal, dans des contextes visuels variés ( pensons, sur le web, aux contenus syndiqués qui se coulent dans la mise en page des différents sites qui les accueillent ).
Andrew Brennan pose trois questions :
- Est ce que nos départements de production auront à intégrer tous ces nouveaux modes de diffusion ?
- Est ce que le design des contenus numériques est de la responsabilité du partenaire distributeur ou d’un autre service externe plutôt que de celle de l’éditeur ?
- Est-ce que le design est un élément stratégique ? Est-il indispensable que les maisons d’édition disposent de cette compétence en interne ?
Et il ajoute :
Nous avons pu esquiver quelque peu ces questions lorsque la distribution numérique et les programmaes de marketing se sont limités, dans un premier temps, à exiger de nous des PDF Web, des fac-similés de ce qui était imprimé sur papier. « Super, » ont pensé beaucoup d’entre-nous, « nous pouvons utiliser la même mise en page que pour l’imprimé, c’est pas si compliqué ».
Il répond à ces questions dans le fil de son article (que je ne vais pas traduire in extenso), et résume sa position en 5 points :
- Le design a une importance stratégique. Le design facilite la communication du contenu et est nécessaire pour porter l’image de marque de la maison d’édition auprès des auteurs et du marché. Le design fait partie intégrante des intérêts de l’éditeur.
- La dure vérité : chaque terminal de lecture, chaque plateforme requiert un traitement particulier de la mise en page
- Les PDF Web ne sont pas la solution à long terme. Les PDF autorisent quelques rapides victoires dans la diffusion numérique, nous ont tous aidé à y faire nos premiers pas, et ont amorcé l’écosystème numérique. Mais une présentation basée sur la « mise en page » ne va pas offrir une solution satisfaisante en édition multi-support. Migrer vers une production basée sur XML aidera certainement pour le multi-support, mais le difficile travail de design pour chacun des modes de restitution demeure. XML est l’un des composants du succès, mais ce n’est pas la panacée.
- Les équipes, en interne, doivent comprendre les implications pour le design d’une délivrance des contenus sur des supports multiples, qu’ils soient ou non directement impliqués dans le travail de présentation pour ces plateformes ou pas. Des compétences dans le design numérique sont des compétences clé pour les éditeurs.
Le billet ne concerne pas uniqement le texte numérique disponible en téléchargement, mais toutes les formes de distribution numérique, et je ne traduis pas ce passage pour relancer un débat « PDF » versus « ePub ». Quelque soit le format de fichier adopté, ce qui est en jeu c’est l’attention portée par l’éditeur au résultat final, c’est l’idée que le passage au numérique n’est pas une affaire purement technique. Et il convient de rappeler, en ce qui concerne plus particulièrement les liseuses – qui font cette semaine l’actualité – : la qualité de la présentation du texte ne dépend pas seulement de la compétence de l’éditeur : celui-ci, François Bon le rappelle dans son billet d’aujourd’hui, est tributaire des capacités du format qu’il a choisi, et des performances du logiciel de lecture utilisé par la liseuse.
Les meilleurs web designers ont peu à peu appris à déplacer leur compétence, en intégrant cette contrainte multi-environnement du web. Il faut pour accepter cela faire de gros efforts : j’ai rencontré dans des écoles de design de nombreux étudiants qui préféraient de loin travailler dans le print, plutôt que de devoir se plier aux contraintes du web, et perdre cette maîtrise directe du résultat final. Mais ceux qui ont choisi de travailler pour le web ont intégré progressivement les conséquences d’une séparation rigoureuse du fond et de la forme, ont accepté de perdre le contrôle millimétrique qu’ils possédaient dans le print, pour créer à partir de nouvelles contraintes : ils ont appris à travailler avec du texte repositionnable, des blocs flottants, et ont développé de nouvelles manières de concevoir en tirant parti de ce qui avait pu leur apparaître, de prime abord, quelque chose qui venait limiter leur contrôle.
On souhaiterait que les éditeurs, les directeurs artistiques, les maquettistes, tous ceux à qui incombe la tâche de veiller à l’apparence finale des textes, puissent effectuer aussi ce virage, et s’attachent d’aussi près à la qualité visuelle de la présentation d’un texte numérique qu’à celle d’un livre imprimé.
Tout à fait d’accord. J’irais même plus loin. Je pense que le numérique va même avoir une rétroaction sur le papier. Qu’il ne sera plus possible à l’avenir de créer des placards de textes industriels comme on le voit dans la majeure partie de la production. Face à un web en couleur, face à des mises en pages plus attractives, le print va devoir aussi montrer ses atouts.
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Pour apporter de l’eau au jardin:
Je crois que lors d’un problème de conception typo-dispositionnelle, il est rentable de distinguer les contraintes de genre (réception esthétique, inscription sociale) des contraintes fonctionnelles: structuration auteur (topique), lecteur (accès), support (artefact)…
En sus des capacités et limitations technologiques du support, le design doit prendre en compte une foule de paramètres, comme la perception humaine (legibility), l’expression du sens (readability), les besoins d’accès (usability)… et les règles esthétiques du genre, plus ou moins ritualisées à partir de contraintes artefactuelles peut-être disparues.
Exemples de la tension entre genre et fonction:
– les versions online des quotidiens ne conservent pas les justifs étroites, et éliminent donc le multicolonnage du texte. Ce signal est un composant essentiel du genre presse print, encore en usage alors qu’il avait déjà perdu depuis longtemps sa motivation historique, liée à l’espacement technique requis pour les premières rotatives.
– dans le livre, la compo au pavé (justification) est un élément déterminant de la réception esthétique, mais les études cognitives ne prouvent pas sa pertinence en tant qu’appui pour les saccades visuelles lors de la balistique de lecture.
Un peu de vécu perso:
– les textes auxiliaires d’un roman goncourable récent (qui ne parle PAS de tigres), rendus uniformément par des notes ou supprimés dans la version papier, ont été designés pour la version numérique avortée selon leur nature topique: le lecteur curieux pouvait accéder à ce paratexte/péritexte grâce à des pop-ups (glossaire auteur), des pages en flux alternatif (carnets personnage), des notes in texte masquables (notes narrateur), des gloses marginales masquables (notes auteur) ou statiques (liens éditeur), des surlignages (index auteur), etc.
Chacun de ces textes a été marqué par des procédures d’e-diting en fonction d’une analyse de son contenu, et intégré en base à ce titre. L’ensemble se prêterait à toutes les manipulations éditoriales/typographiques quel que soit le support, e-book, w-book ou p-book: édition allégée, dégradée, expurgée, communautarisée, respatialisée, réinsérée, réaugmentée… en collaboration étroite avec le designer visuel, interprète et non metteur en scène.
Et si déjà le web apprenait des gabarits papiers ? Juste pour bien modéliser le mapping XML ?
Exemple : un sous papier reste un « sous papier » même sur écran… un « encadré » aussi. Et le faire comprendre est un vrai défis.
Ensuite tout ceci est une affaire de XSL, de CSS.
Ne serait-ce pas la théorie qui manque?
Je suis heureux de lire que des designers font le virage comme tu le décris Virginie… je me demande s’il est clairement défini. JM Destabeaux apporte quelques éléments de théories ici, c’est intéressant. Il parle de séparer la fonction du genre par exemple; on pourrait y rajouter des éléments de « markup réthorique »… tout cela est très très balbutiant!
La consécration de paradigmes où la vérification du rendu sous des utilisations mutliples, par exemple, est à peine faite. Combien d’éditeurs, de nos jours, visent vraiment des multiples transformations?
Ajoutez à cela le rendu pour la liseuse dans l’auto (celle qui vous parle)…