Timo Hannay travaille pour Nature Publishing Group (qui édite la fameuse revue scientifique Nature), où il dirige Nature.com. Dans une conférence donnée à ALPSP International Conference 2008, Timo Hannay établit une comparaison entre un « digital migrant », et un migrant au sens géographique du terme. ( Migrant dans la vraie vie, et, en France, exposé à ce type de traitement )
Il utilise pour cette comparaison ses souvenirs de migrant au Japon, où il dut séjourner plusieurs années alors qu’il achevait ses études. Il raconte tout d’abord le choc de son arrivée au Japon, ( sa conférence est illustrée de photos, voir le billet original) puis l’attitude qu’il a adoptée vis à vis de toute l’étrangeté de ce pays, et mentionne le fait qu’il a épousé une japonaise. Puis il en revient au monde de l’édition, car ce long détour était destiné à faire passer cette idée que ceux qui travaillent dans une maison d’édition vont devoir migrer, eux aussi, migrer « vers le futur », ce qui implique un état d’esprit similaire à la migration vers un pays étranger :
« C’est presque aussi difficile pour une maison d’édiion de devenir une entreprise technologique que ça l’a été pour moi de devenir Japonais. Mais si l’information est devenue notre métier, et c’est le cas, alors maitriser les technologies de l’information n’est pas une simple option, c’est un enjeu central pour notre avenir. Pour faire face à ce défi, je crois que nous ferions bien de nous appliquer ces maximes qui ont bien réussi aux immigrants dans le monde réel :
– Apprendre la langue
– Respecter les nouvelles normes culturelles
– Ne rien considèrer comme un dû
– Travailler dur
– Ecouter, apprendre, s’adapter. «
Il évoque auparavant quelques uns des projets web développés par Nature.com.
« Tous ces projets sont – ou ont été – expérimentaux. Nous ne les avons pas lancés avec une confiance aveugle, en nous disant « si nous le construisons, ils viendront », mais en pensant plutôt « Si nous ne le construisons pas, nous ne saurons jamais ». Nous avons agi comme des scientifiques, utilisant ces projets pour essayer quelque chose qui s’appelle le web et que nous essayons de comprendre. Dans ce contexte, l’ échec est non seulement acceptable, il est inévitable, et nous essayons de l’éviter en faisant du bon boulot, et non en évitant les paris risqués.
Derrière cette série de projets, il y a cette idée que le passage d’une distribution basée sur l’imprimé à une distribution en ligne n’est que le premier pas d’un parcours bien plus long. En faisant ces choses, nous faisons des choses auparavant réservées à – et donc nous sommes en compétition avec – les broadcasters et les développeurs de logiciels. Si cela ne vous fait pas peur, c’est que vous n’avez pas bien compris ce qui se passe. Mais si vous vous dérobez à ce combat, alors vous aurez perdu par forfait.
(Reperé via the digitallist – photo © AP Images, sur http://usinfo.state.gov )
En tant que franco-italien ayant la double nationalité et en tant que prospectiviste de l’édition, je trouve ce point de vue fort pertinent.
Cela dit, je ne pense pas que les maisons d’édition doivent devenir des entreprises technologiques.
C’est même, à mon avis, l’un des dangers qu’elles doivent éviter.
Dans l’ouvrage collectif « Entreprise 2018 » à paraître ces prochains jours, j’expose dans la partie « L’édition en 2018″ les deux écueils à éviter :
» L’édition doit éviter deux écueils :
– son phagocytage par les majors de l’entertainment, ce qui la conduirait
à un fonctionnement à l’américaine dans lequel chaque livre doit être rapidement rentabilisé.
– une crispation politique conservatrice, ce qui conduirait à son évincement
du champ médiatique. »
Devenir une entreprise technologique c’est se faire phagocyter.
La réflexion et l’accompagnement que je propose pour ma part consistent plutôt à surfer sur certaines vagues qui pourraient porter le livre et la lecture vers de nouveaux horizons.
Je vous souhaite, je nous souhaite, un beau voyage ;-)
Bah oui ! Moi je suis d’accord avec vous Virginie : ce que vous précisez dans votre réponse à votre commentaire, moi, je n’appelle pas cela : devenir une entreprise technologique. Bien évidemment qu’il faut un « minimum de langage et de représentations en commun », et des passerelles…
C’est à croire que soudain vous ignorez tout ce que j’ai pu écrire et dire ces dernières années sur ces questions (?)
Mais si vous tenez absolument à ce que nous ne soyons pas d’accord, ou, plus exactement, à ne pas être, vous, d’accord avec moi, ce n’est pas grave.
Moi, en ce qui me concerne, je suis en général plutôt d’accord avec vous :-)
oui, attention à ne pas se laisser embarquer dans fausse antinomie
et pourtant, de mon côté, toutes les 3 semaines l’impression d’en savoir quasi le double que le mois précédent, et d’avoir à réinventer la poudre, alors que ceux qui sont dépositaires de la masse principale de ce savoir (je n’aurais pas tenu dans ces apprentissages publie.net sans mes 2 ans au Seuil, même en tout petit passager d’une cabine de pont), de leur côté, ne savent pas nous les communiquer dans le numérique
pourtant, avec mes potes bricoleurs, c’est de grimper notre niveau technique d’édition qui est le paquet sur la table (qui c’est qui me dira pourquoi le CyBook gère pas les marges de la même façon que le Sony etc) – et qu’est-ce que c’est chouette en ce moment, avec ces échanges et ce qui circule, notamment ici
signé FB « en général plutôt d’accord » avec teXtes !
« Technology » est un terme assez intraduisible. Il englobe en anglais la chaîne des connaissances, techniques, ressources, processus, et j’en passe, pour atteindre une finalité service ou produit. C’est très différent du français où il recouvre généralement des techniques élémentaires, quoique cela évolue.
Et nous vivons de ces ruptures où la compréhension des « technologies » et la création sont intimement liées. Il est difficile alors d’imaginer qu’un éditeur puisse rester en dehors.
– Apprendre la langue
Oui/Non, les systèmes peuvent s’adapter à l’homme, voir l’iPhone ou la Nintendo DS
– Respecter les nouvelles normes culturelles
Oui
– Ne rien considérer comme un dû
Oui
– Travailler dur
Curiosité et passion, est-ce bien du travail?
– Ecouter, apprendre, s’adapter
100 fois oui
@ Lorenzo. Tiens, tiens, nous nous retrouvons dans « Entreprise 2018 ».
Vous avez raison, la tâche est ardue. Surtout si l’on veut faire des systèmes simples et conviviaux. Ce que les éditeurs se voient proposer (ne parlons pas des auteurs, des lecteurs et des libraires), est souvent à la limite de l’acceptable.
en fait, c’est pas si difficile – on a repris « Le livre des merveilles » d’Etienne Binet, on a pris le chapitre « verre » – prendre le texte, l’approcher de l’Intel Double Core, l’amener progressivement et lentement à la transparence, commencer alors lentement à souffler jusqu’à la forme requise (Sony, iPhone, ou votre 22″ de table), frapper alors d’un coup sec sur la baguette – si le texte rebondit 3 fois sans se briser, l’insérer dans la mise en ligne, le robot d’immateriel.fr passe toutes les heures faire le point des métadonnées
http://gallica2.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k581006.r=etienne+binet+.langFR
@F Tu peux ajouter une ou deux pincées de webkit, cela ne gâte rien. Sauf si tu le destines à Android, bien entendu.
message bien reçu, Bruno !
le titre du fabuleux livre d’Etienne Binet c’est « Essay sur les merveilles de nature », tu devrais bien nous en faire une version Ganaxa !
@V : « ne pourra jamais fonctionner si le monde de l’édition reste à l’extérieur de ce langage » – on a toujours comme des impatiences… et côté manettes, rien qu’à se débrouiller dans le dédale des polices, licences ou libres, et ce qui en survit sur un CyBook ou embarquées epub etc des fois y a de quoi baisser les bras – par contre, ce qui me semble irréversible c’est que l’écriture/lecture Internet devient sa propre finalité, dispose d’une effectivité plus forte que le même texte sur les vecteurs traditionnels (presse écrite ou édition) mais sans en avoir encore acquis la validation symbolique – et que c’est depuis cette écriture/lecture nativement web qu’on réinvente « aussi » des usages de lecture dense, via ergonomie écran, supports complémentaires, formatage de flux vers les liseuses etc
à noter que le nouveau grille-pain Sony dispose d’une prise de notes via l’écran tactile, on va les voir se fritter avec le Kindle tant mieux
pour revenir sur les commentaires Lorenzo, ce lien vers son intervention de fond dans « Entretiens du futur »
http://entretiens-du-futur.blogspirit.com/archive/2008/10/01/lettre-sur-le-commerce-des-livres-dans-l-apres-web-2-0.html
suis toujours un peu désarçonné par l’importance que tu donnes, Lorenzo, au modèle 2nd Life – très peur de mon côté de créer chaque fois frontière supplémentaire vers communauté close, et dans mon entourage ou nos lecteurs je ne connais personne qui l’utilise
ai par contre été scotché par ta description des lectures multi-fenêtres projetées dans espace, là il y a un concept qu’on devrait vraiment approfondir, il y a quelques jours j’entendais Daniel Bourrion (BU Angers) faire réflexions similaires sur la systématique du travail multi-fenêtres dans les usages des étudiants qu’il observe
@F : Merci d’avoir remarqué et signalé mon papier :-)
Second Life est certes bien imparfait, mais, ce peut être un bon laboratoire du Web de demain.
Pas de frontière supplémentaire, non : demain le Web sera 3D.
La chaîne Boulanger vient d’ouvrir un magasin dans Second Life… Des bibliothèques américaines, quelques éditeurs et auteurs, et… Amazon, y sont déjà … (Puis Sony, Orange, etc.)
En fait les spécialistes parlent plutôt de « Mondes miroirs », de « Villes ubiquitaires » ou « d’univers réels dupliqués »…
A terme ce que nous pouvons voir dans Google Earth (Google a lancé son satelite d’ailleurs), ou dans Virtual Earth de Microsoft, doublera simplement la réalité…
Quant aux interfaces de lecture elles vont, en effet, beaucoup évoluer :-) avec les « surface computing » (j’ai eu l’occasion d’en tester un peu récemment c’est bluffant :-)
@F « “Essay sur les merveilles de natureâ€, tu devrais bien nous en faire une version Ganaxa ! »
Ok, c’est parti, reste à régler les détails du budget, tu me rappelles qui paye?
@Lorenzo Je ne suis pas utilisateur de Second Life non plus, question peut-être de trop de distance avec la réalité, de manque de convivialité d’un réseau social ou de discussions par blogs interposés. Question de technique et d’ergonomie, aussi. J’aimais bien Scol, qui a disparu, ou le moteur Everquest de Sony, mais qui n’est plus en accès libre. Quid de la mobilité, iPhone?
Mais tu as raison sur le fond. On attend tous cela. Google travaille pas mal là -dessus, les Japonais aussi. Les mondes réels et virtuels devraient de plus en plus se compléter. Quant à la lecture en réalité augmentée, 100% d’accord.