Est-ce d’avoir passé cet été toute une semaine à Lagrasse, à alterner flâneries dans la librairie du Banquet du Livre, baignades dans la rivière, lectures, conférences, concerts ? Est-ce d’y avoir entendu, lus par leurs auteurs ou par des comédiens, des textes que j’ai pu retrouver ensuite, dans la solitude de la lecture ? J’ai très envie de continuer à faire, autour des livres, des rencontres. De pouvoir mettre des visages et des voix sur des noms d’auteurs. Pourrai-je décrire cette minuscule émotion qui se faufile quand, dans le fil de ma lecture, j’arrive à cet extrait qui a été lu, qui se confond avec le grain d’une voix, le souvenir de la lumière de fin d’après-midi dans le petit cloître où se tenait la lecture, cet extrait que je reconnais, et qui, définitivement, aura pour moi un autre statut que celui du texte que je découvre avec les yeux ?
Pour retrouver cette émotion, je file deux soirs cette semaine directement du bureau vers une librairie. Jeudi, soirée Pynchon à l’Arbres à lettres de la rue Boulard. L’assistance se regroupe autour de quelques Incultes : Arno Bertina nous entraîne dans une formidable bagarre de marins avec un extrait de V, Claro dans un grand magasin avec deux personnages de Contre-jour. Au milieu des livres, au milieu des gens, visages inconnus pour la plupart, quelques uns déjà rencontrés, comme Fred Griot, qui me parle du tournage de Crops.
Autre rencontre, hier soir, dans un autre Arbre à lettres, celui de Mouffetard. J’ai entendu parler de Zone, de Mathias Enard. Arno Bertina et Claro sont là encore, et ce dernier devrait mettre en ligne sur le Clavier Cannibale la présentation qu’il nous fait de Mathias Enard, le public se gondole dans la librairie, c’est un morceau d’anthologie, il dit lui-même s’être inspiré de Lagarde et Michard. Mathias Enard prélève ensuite, dans cette immense et unique phrase qui constitue Zone, un extrait où il est question de Malcolm Lowry. Je veux lire ce livre tout de suite, je veux grimper dans ce train, dans cette phrase.
Le temps où je racontais des histoires à mes enfants, lors de ces moments privilégiés qu’Hubert évoque avec beaucoup de finesse, est aujourd’hui révolu. Les livres d’enfants, certains pas mal amochés d’avoir été trop aimés, ont disparu des chambres depuis quelques années. Il y eut aussi quelques histoires inventées, comme ce feuilleton loufoque intitulé « les quatorze enfants », dont il n’existe aucune autre trace que le vague souvenir que nous en avons tous. Fini le temps des soirées immanquablement rythmées par le bain, le dîner, l’histoire. S’ils n’ont pas encore tout à fait quitté la maison, ils n’ont plus besoin que je m’y trouve à heure fixe. Mes soirées m’ont été rendues. Alors.. Yves Bonnefoy au musée Zadkine, le 25 septembre prochain ? Mais le même soir je pourrais aussi faire la connaissance de J Eric Miller, (qui eut pour prof James Crumley, disparu aujourd’hui, l’un de mes auteurs de polars préférés) avec toujours Claro à la librairie Atout Livre. Et en octobre, lectures en vue de Ludovic Hary… et tant d’autres événements , dont Facebook contribue efficacement à propager l’annonce.
Une intuition vague : ce qui m’occupe à longueur de journée à trait à la dématérialisation des livres, et en conséquence, j’éprouve de plus en plus fortement le désir de matérialiser et d’incarner mes lectures, de les ancrer dans des lieux, de les relier à des rencontres, des voix, des visages. Les écrans ne me suffisent pas.