On discute, on discute

On cause, on cause. (Et je ne suis pas la dernière…)

Et pendant qu’on cause… Le réseau anglophone Ning intitulé « Classroom 2.0 » dépasse les 3000 membres.
Plus de 3000 fossoyeurs de la Culture, (presque tous des américains, alors bon, vous imaginez, ils ont quoi à enterrer, au juste ?) enseignants qui, non contents de détruire les jeunes esprits qui leur sont confiés en leur proposant de tenir un blog ou, horreur, de contribuer à un wiki, viennent ensuite discuter ensemble de leurs pratiques.

Pour donner une idée de ce qui peut être utilisé dans une « Salle de classe 2.0 », la liste des tags « outils » de ce site Ning :

Ceux qui veulent « débrancher l’école » ont-ils la moindre idée de ce que signifie cette liste ? De la nature de ces outils ? Des possibilités qu’ils offrent ? De la manière dont certains enseignants s’en emparent ?

Aucun de ces outils ne va « résoudre les problèmes de l’école ». Refuser de s’y intéresser, demeurer ignorant, discuter et discuter encore, sans savoir, brocarder encore et encore, voilà qui devrait énormément faire avancer les choses.

Il ne s’agit pas d’arrêter de réfléchir et de parler. Il serait temps de connaître ce dont on parle. Et il me semble impossible de connaître ce que l’on méprise à ce point.

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FB sur FB

martinefacebook.jpg Bon, je pille Olivier Ertzscheid pour faire un clin d’oeil à François Bon, mais il faut lire chez le premier les dernières nouvelles de Facebook et chez le second les réponses qu’il adresse à une journaliste de l’Express à propos dudit FB , auquel il a ajouté un bref échange entre « friends » à propos de… Facebook. (Ouf !)
Je ne m’inquiète pas pour nos blogs. Facebook ne remplace ni ne vide ni ne nous détourne de nos blogs. Facebook c’est un peu comme Vélib. C’est pratique, ça a l’air bête (ils ont qu’à avoir un vélo à eux m’enfin quoi), et puis le jour où on a raqué ses 30 euros et qu’on a la petite carte qu’il suffit de poser sur la borne pour déverrouiller un vélo, à l’usage, on s’aperçoit que c’est pratique, bien plus pratique qu’un vélo à soi. On n’en a pas la responsabilité, on peut s’en servir à l’aller et pas au retour, on peut mixer bus / vélo / métro / marche à pied, on rigole souvent avec d’autres vélibistes sur les pannes, la casse, les fois où on n’a pas trouvé de place ou pas trouvé de vélo.

Facebook, c’est un peu les transports en commun du Web. On y rencontre du monde. On peut y être importuné. Il y a des jours où ça vous énerve. Et puis ça permet aussi des rencontres, des déclics, une convivialité de « deuxième cercle », comme dit André Gunthert, pas désagréable, pas transcendante non plus.

Tout le monde râle sur l’interface moche. Je ne suis pas d’accord. Cette interface est d’une ergonomie simplissime, ce qui est tout de même l’essentiel pour une interface. Elle est sobre, elle agrège en les unifiant de façon plutôt élégante les applis et apports des utilisateurs. Et à tout prendre, je préfère le bleu Facebook au beigeasse des Vélib. (Pour ceusses qui vivent loin de Paris, c’est ce qu’on peut faire de plus proche d’une non-couleur…).

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Ceci n’est pas une photo

capture.jpgC’est une copie d’écran. Celle du bureau de mon mac. Je sais que vous vous fichez pas mal de mon mac. Même si la photo est pas mal en fait, c’est sur la falaise de Champeaux, dans le Cotentin, et si vous pouviez tourner la tête vers la gauche, vous verriez apparaitre le Mont St Michel. Bon vous vous fichez aussi de Champeaux et du Mont Saint Michel, je peux comprendre ça.
C’est Christian Fauré qui m’a mise sur l’affaire, on dit en anglais « I’ve been tagged for a meme » (mais j’ai renoncé à traduire, j’ai définitivement renoncé à traduire le mot « tag »). Christian, son bureau n’a pas la vue sur mer, mais il a écrit aujourd’hui un beau billet biblique sur l’Exode, avec des images et plein de bêtes d’acronymes comme SaaS et REST et SOAP et ERP.

Avant, voici la liste des gens qui se sont prêtés au jeu :

  • Ronnie – I Set No Corner
  • Thess – Thesserie
  • Rebecca – Skippy Heart
  • Knoizki – A Dialogue With K
  • Beng – Kauderwelch
  • Tina – My Good Finds
  • Rachel – Heart of Rachel
  • Alice – Hello, My Name Is Alice
  • Julia – Julia’s Books Corner!
  • Darla – Nichtszusagen
  • Marg – Reading Adventures
  • Holly – What Were you Expecting?
  • Ames – Thrifty Reader
  • Dev – Good Reads
  • Rosie – Nobody asked me…
  • Gabrielle – Diary of an Adult Runaway
  • Jo – Chez le laquet!
  • Ms Mac – Ms Mac
  • Lezzles – Peregrinations
  • Spentrails – Email me
  • Mike – MiramarMike (sounds very Bond-like)
  • Sandy – eggs benedict and two flat whites
  • Ben – business, strategy, governance
  • Christian Fauré Hypomnemata : supports de mémoire
  • Virginie Clayssen – teXtes

Bon, je fais tourner aussi et je renvoie la balle à Maud Piontek, Hubert Guillaut, Mario Asselin, Olivier Ertzscheid, et Irène Delse.

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Bleu c’est mieux

J’observe ce matin le nouveau Lulu Studio, qui permet comme le proposent déjà de nombreux sites, de créer sur le site lulu.com son album photo pour en recevoir ensuite à domicile un ou plusieurs exemplaires imprimés. L’interface demande d’indiquer titre, nom, prénom de l’auteur, de choisir un format, puis de choisir un « thème » graphique. Les geeks disent un « skin ». En fait il s’agit d’un ensemble de caractéristiques liées à la présentation : couleur des fonds, des caractères, style et tailles des polices, disposition etc… Tout ce qui aujourd’hui, dans un site correctement conçu, est strictement séparé du contenu et exprimé dans une feuille de style.

Parmi les thèmes proposés : Bébé Fille, et Bébé garçon. Je m’attendais à une version rose, et à une version bleue. Et puis, en regardant la version garçon, je vois que les photos montrent le bébé garçon embrassé et choyé par ses parents.
bebegars.jpg

Je remonte d’un cran pour revoir le « bébé fille ». Ben non. Pas de bisous pour le bébé fille. Elle se tient assis bien droite, bien sage, toute seule, avec ses petits habits roses ou sa couche culotte. Et j’ai envie de lui dire : « Accroche-toi ma chérie, c’est pas encore gagné ! »
bebefille.jpg

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Toi aussi tu peux

Envie de rebondir sur ce commentaire de Thibaud Saintin, à propos de lulu.com.
Ces « toi aussi tu peux », ces « avec Internet on peut.. on peut… » ont leur envers. La frontière est ténue entre la « permission » (ces outils permettent de…) et l’injonction ( comment, toi, tu n’utilises même pas ces outils pour …).

Pour les digital natives, le problème n’est jamais un problème de manipulation d’interface. Ils n’ont aucune interrogation angoissée sur le « comment faire ». Dans « My Yahoo, MySpace », ce n’est certainement pas le « Yahoo » qui peut faire problème, ni le « Space ». Par contre, le « my » est mis à rude épreuve. Sans cesse renvoyé à son désir, à sa créativité, à ses amis, à son réseau social, à ses préférences, l’ado doit finalement solliciter en permanence la zone la plus fragile de lui-même, son identité en construction. Il peut s’inquiéter de ne pas être capable d’utiliser ces outils, se croire un idiot s’il n’a jamais osé uploader une vidéo dans YouTube, suspecter sa propre attractivité si son nombre de « friends » reste faible dans les réseaux sociaux, se demander pourquoi son skyblog n’attire pas d’autres visiteurs que les spammeurs. Continuer la lecture

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Lancement de « Traverses » sur Second Life

Karine Guillorel, que les habitués des soirées bouquinosphère connaissent, organisait jeudi 18 octobre le lancement du livre « Traverses » sur Second Life. Si la grève des transports vous a scotchés  à domicile, peut-être avez vous fait une sortie virtuelle et découvert sur SL l’espace réalisé par Yann Minh. Si oui, racontez-nous comment c’était, je n’ai malheureusement pas pu m’y rendre.
Plus d’infos ici sur Traverses, livre voyageur à lire, à suivre et à échanger.

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Petit-déj’ avec Bob Young (lulu.com)

En écoutant Bob Young ce matin nous parler de lulu.com, dont il est le fondateur, les questions s’accumulaient dans mon esprit, à la queue-leu-leu, une file de questions dont je savais que j’allais les oublier avant d’avoir eu la possibilité de les poser.

Lorsque Bob Young nous dit : « Autrefois, la personne qui disait « ça, c’est bon, ça, c’est mauvais, c’était l’éditeur. Aujourd’hui, cette personne c’est le public. », ma question surgit sans effort : « Mais est-ce que ce n’est pas un service que nous avons apprécié, en tant que lecteur ? Est-ce que, avec la profusion croissantes d’occasions de fixer notre esprit (livres, films, télé, jeux vidéo, journaux, revues, sites web, blogs, musique etc….) nous n’aurons pas justement un peu de reconnaissance envers celui qui fera le tri, et qui nous évitera de devoir feuilleter 30 très mauvais livres mal écrits avant de tomber sur celui qui est susceptible de nous intéresser ? »

Lorsque Bob Young parle avec beaucoup de justesse de Google, et de Google Search Inside, et du fait qu’aujourd’hui, un livre peut apparaître parmi les résultats de recherche de Google (il dit en riant, et là c’est l’ex-boss de Red Hat qui parle probablement : « Microsoft, ce sont de gentils petits garçons, si on les compare à Google. » , j’ai envie de lui demander : « Alors, une partie du travail de l’éditeur, qui consiste à mettre en contact un lecteur et un auteur, est prise en charge, dans le monde entier, par un seul moteur de recherche, dont on ne connaît pas les critères de classement ? »

Il est sympa, Bob Young. Bien conscient aussi qu’une part des livres publiés sur lulu.com relèvent de ce qu’on appelle en anglais la « vanity edition », il dit, quant à lui, « de la mauvaise poésie, si mauvaise que même votre mère ne voudra pas en acheter un exemplaire… » . Il a la sagesse de ne pas se poser en rival de l’édition traditionnelle. Il ne vient pas piétiner ses plate-bandes. Il permet à un autre marché de se constituer, et il a pour exprimer cela une comparaison efficace : l’arrivée d’eBay n’a pas entraîné la fermeture de Christie’s. Il a facilité au plus grand nombre l’accès à un système de vente aux enchères. Un plus grand nombre qui ne fréquente pas Christie’s, et ne connait peut-être pas son existence.

Il n’est pas éditeur, il permet simplement à chacun de devenir son propre éditeur. Une salve de questions me vient encore : Est-ce qu’elles apprécieront tant que ça, les générations qui arrivent, de devoir non seulement faire leur métier, mais également d’être leur propre éditeur, leur propre producteur de musique, leur propre producteur de films, leur propre fournisseur d’information ? Est-ce que le do-it-yourself étendu à toutes les sphères de la vie culturelle n’apportera que satisfaction, épanouissement et harmonie ? Et qui va se charger de ce qui dépasse la sphère individuelle : constituer une collection, un fonds, construire un catalogue ? Qui se posera la question de ce qu’il convient ou non de conserver, de transmettre ou d’oublier ? La « vanity edition » , n’est-ce pas aussi l’édition instantanée, qui se fiche autant du passé que de l’avenir ?

Lorsque le moment du débat commence, bien sûr, j’ai oublié mes questions. J’écoute tranquillement celles des autres participants (Bouquinosphère bien représentée). Et, au moment de partir, la seule question qui me vient à l’esprit en allant saluer Bob Young est celle-ci : « Could you please tell me why you did steal my daughter’s name for your website ?” Bob Young rigole, et sa réponse me permet de partager avec vous un scoop : l’origine du nom “lulu.com”. Ben oui, pourquoi lulu.com ? Bob Young a trois filles. Sa plus jeune fille, qui a le même âge que « ma » Lulu, l’appelait, lorsqu’elle était petite, « Papeloo », bientôt raccourci en « Lulu » (prononcé en anglais « Loulou ») : « Tu peux me conduire à la patinoire, Lulu ? » Quand il a fallu trouver un mot court, quatre lettres, et facile à retenir, c’est ce surnom que lui avait donné sa fille qui a resurgi.

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Fait divers

bookmachine.jpgDeux distributeurs automatiques de livres, qui devaient être livrés à l’aéroport de Stansted (Royaume Uni) ont été volés : les voleurs se sont emparés de la remorque qui les transportait, et stationnait non loin de Bishop’s Stortford.

La police de l’Essex suit déjà plusieurs pistes, et recherche des témoignages. (Peut-être avez-vous vu quelque chose, vous qui étiez en week-end dans l’Essex ?)
Difficile de regarder cette machine et de prononcer la phrase : « Le livre n’est pas une marchandis comme les autres ».

Difficile de ne pas imaginer la légèreté élégante que pourrait avoir une borne de téléchargement d’eBooks.

Amusant de décider, comme les auteurs de PersonaNonData, blog sur lequel j’ai trouvé photo et info, que ce sont les libraires, nombreux et furieux de Bishop’s Stortford qui se sont emparés de la remorque et l’ont fait disparaitre (Dans un fleuve ? dans une forêt ? dans un entrepôt désaffecté ?)

A part Danielle Still, (ben non, je ne mets pas de lien vers une librairie en ligne, c’est trop nul Danielle Still) je n’arrive pas à déchiffrer les titres des ouvrages volés. Et vous ?

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Impressions à la demande

Une certaine confusion règne semble-t-il autour de la thématique « impression à la demande ». Le POD comme disent les américians : Print On Demand. Elle est assez généralement confondue avec l’auto-publication. Cela vient peut-être du fait que le terme d’éditeur, en français, désigne deux fonctions distinctes pour lesquelles l’anglais possède deux vocables : nos amis anglophones distinguent en effet « editing » et « publishing ». L' »editor » occupe cette fonction de repérage, de distinction, de choix. Il construit un catalogue, un fonds éditorial, en sélectionnant des textes, en attirant des auteurs. Il est aussi celui-qui fait passer le texte de l’état de manuscrit à l’état de texte « bon pour la publication », selon des modalités qui diffèrent d’un éditeur à l’autre, et bien sûr d’un secteur de l’édition à l’autre.

Le « publisher » prend le relais. Il est celui qui fait passer ce texte « bon pour la publication » à l’état de livre : non pas « un livre », mais « ce livre » : avec son format, sa maquette, son image de couverture, la qualité de son papier etc. Il est celui qui va payer pour cela, et qui versera à l’auteur un pourcentage des revenus liés à la vente de l’ouvrage. Il est aussi celui qui se préoccupe du devenir du livre, celui qui veille à sa mise en place, à sa promotion. (J’observe que Pierre Assouline dans un post sur ce thème définit « publisher » comme « patron de la maison d’édition ». Mais dans une petite maison, l’un et l’autre rôle se confondent en une seule personne, et c’est donc bien les fonctions qu’il convient de distinguer.)
L’impression à la demande ne remet pas directement en cause ni le premier ni le second rôle de l’éditeur. Elle est simplement la conséquence de la possibilité d’imprimer, grâce au développement des presses numériques, les livres en un petit nombre d’exemplaires pour un prix abordable. Contrairement à l’impression traditionnelle, qui implique des tirages supérieurs à 1000 exemplaires, (on peut bien sûr en imprimer moins, mais le prix demeurera alors constant, donc celui de l’exemplaire augmentera vite.) Les éditeurs qui travaillent sur des marchés de niche utilisent déjà l’impression numérique. On parle d’impression à la demande lorsque celle-ci se déclenche lorsqu’un client achète l’ouvrage (ou lorsqu’un lecteur le réclame, si la presse numérique est installée dans une bibliothèque).
Jusqu’à l’apparition relativement récente de sites tels lulu.com, blurb.com, CreateSpace.com et d’autres, la publication d’un livre était chose quasi impossible sans passer par l’intermédiaire d’un éditeur. A ceux qui ne réussissaient pas à se faire éditer et tenaient à tout prix à voir leurs Å“uvres publiées, restait toujous l’option de payer pour ce faire : ils passaient alors par l’intermédiaire d’un prestataire, plus « publisher » qu' »editor », qui ne s’engageait qu’à prendre leur manuscrit et à leur permettre d’en faire un livre, moyennant finances : c’est ce qu’on appelait l’édition à compte d’auteur.

Aujourd’hui, l’auto-publication est facilitée par l’apparition de plateformes en ligne. Le prix dépend du nombre de pages et de différents critères de qualité du livre. La possibilité existe d’obtenir un ISBN et de se faire référencer sur Amazon. Mais n’imaginez pas que la majorité des clients d’un site comme lulu.com sont des romanciers désespérés, qui échouent sur le site faute d’avoir été acceptés par les lecteurs des maisons d’édition. Le site parle de romans, nouvelles, poésie, mais aussi de thèses, mémoires, propositions commerciales, albums souvernirs, guides touristiques, albums de mariage etc.. La plupart des clients de ces plate-formes cherchent à publier des écrits extrêmements divers, dont la majorité n’atteint pas 48 pages.

Contrairement à une idée très répandue, le fait de payer pour se faire éditer n’est pas l’apanage de quelques autoproclamés écrivains convaincus d’avoir été incompris par des éditeurs qui ne publieraient que des fils-de, des présentés-par, des people, des faisant-partie-du-cercle. Penser aux endroits du monde ou s’autopublier est la seule manière d’échapper à la censure. Se souvenir qu’un René Char, pour ne citer que lui, dépensa pas mal d’énergie pour rassembler les fonds nécessaires à la publication de certains de ses livres. Penser aussi qu’avec la survenue du web, les statuts respectifs de la lecture et de l’écriture se modifient, ainsi que les instances de légitimation des discours. Les éditeurs l’ont d’ailleurs compris, qui s’intéressent aujourd’hui de près aux « social networks« , voire essaient d’en créer.

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Objets imprimés sans qualités

livrestas.jpgDans son intervention lors du forum « pour une nouvelle dynamique de la chaîne du livre » à la SGDL cet après-midi. Roger Chartier s’inquiète pour ce qu’il nomme « les objets imprimés sans qualités ». Que signifie cette expression, qui fait penser à la fois aux OVNI et à Musil ? Il rappelle la double vocation des bibliothèques, conserver et rendre accessibles les livres, et se demande si la tentation ne sera pas forte, une fois les collections numérisées, de simplement substituer aux ouvrages papier originels le fichier issu de leur numérisation. Et s’il parle d’objets imprimés « sans qualités », c’est pour attirer notre attention sur le fait qu’il n’y a pas à s’inquiéter pour les originaux anciens, fameux, fragiles, qui sont l’objet de toutes les attentions : ils ne risquent pas d’être délaissés, et la numérisation permet à la fois de les protéger et de les rendre accessibles. Non, les livres menacés de disparition, sont bel et bien les « objets imprimés sans qualités », ni des chef d’Å“uvres, ni des objets précieux, mais des documents stables témoignant de l’état d’une pensée à un moment donné, non seulement par leur texte mais par l’ensemble de leurs caractéristiques : couverture, format, mise en page, typographie, quatrième de couverture, qualité du papier etc.

Roger Chartier exprimait déjà cette idée, (mais n’utilisait pas encore cette belle expression) en 2001 lors du colloque virtuel text-e :

« (…) la conversion électronique de tous les textes dont l’existence ne commence pas avec l’informatique ne doit aucunement signifier la relégation, l’oubli ou, pire, la destruction des manuscrits ou des imprimés qui auparavant les ont portés. Plus que jamais, peut-être, une des tâches essentielles des bibliothèques est de collecter, protéger, recenser et rendre accessibles les objets écrits du passé. Si les Å“uvres qu’ils ont transmises n’étaient plus communiquées, voire même si elles n’étaient plus conservées que dans une forme électronique, le risque serait grand de voir perdue l’intelligibilité d’une culture textuelle identifiée aux objets qui l’ont transmise. La bibliothèque du futur doit donc être ce lieu où seront maintenues la connaissance et la fréquentation de la culture écrite dans les formes qui ont été et sont encore majoritairement les siennes aujourd’hui. »

Ne pas s’imaginer que les « Objets digitaux avec ou sans qualités » issus de la numérisation ne poseront pas eux aussi des problèmes de conservation… Bruno Racine, Président de la BNF, qui est intervenu dans le débat précédent l’a rappelé : dans le chantier qui s’annonce (numérisation de 300 000 ouvrages), une part non négligeable du travail consiste à rendre pérennes les fichiers obtenus.

Et, pour rebondir sur le propos de R. Chartier, qui soutient que le livre électronique n’est pas une « simple déclinaison sur un autre support » du livre, je vous propose d’essayer de remplacer, dans l’extrait qui suit, le livre que tient Agathe par un livre électronique, affiché dans une liseuse : l’extrait ne fonctionne plus. Ulrich n’est plus en mesure de « reconnaître le volume » :

“D’où tires-tu cela ?” demanda Ulrich avec curiosité. Alors seulement, il vit entre les mains d’Agathe un livre qu’elle avait trouvé dans sa bibliothèque. […] Ulrich reconnut alors le volume et sourit, tandis qu’Agathe répondait enfin : “De tes livres”.
(Robert Musil – L’homme sans qualités)

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